BD malienne

KALAN KADI : FESTIVAL DE LA LITTÉRATURE JEUNESSE DE BAMAKO

Durant une semaine, le Festival International de Littérature Jeunesse de Bamako «Kalan Kadi» réunira à nouveau le public autour de la littérature avec comme thème : « la Bande dessinée «.  Kalan Kadi mettra à l’honneur la diversité des écritures et des productions littéraires en direction de la jeunesse à travers la participation d’auteurs, illustrateurs, écrivains, conteurs de nationalités différentes.
A cet effet, des rencontres, ateliers, interventions en milieu scolaire, animations, expositions, conférences, viendront rythmer cette semaine. Au programme:

Lundi 11 avril – Médiathèque IFM
Exposition du 11 au 16 avril : Rétrospective des ateliers menés par Sébastien Chebret, illustrateur jeunesse (France) avec les enfants de l’école primaire du Lycée Liberté.

Jeudi 14 avril – Restaurant Saveurs du Patio IFM
19h : Café littéraire à la rencontre de Koffi Roger N’Guessan, illustrateur et auteur de bande dessinée (Cote d’Ivoire).

Vendredi 15 avril – La Galerie Médina
15h30 : Table ronde sur l’édition jeunesse
17h30 : Vernissage de l’exposition «l’histoire de la bande dessinée au Mali»

Samedi 16 avril – IFM
L’Institut Français du Mali fait place aux enfants !

10h : Lectures animées par Bérou Touré

Affiche-KLK-Def11h : spectacle de marionnette, « Le lièvre sauva la chèvre », Cie NAMA
La compagnie  NAMA, est une compagnie franco-malienne créée en 2010  par Yacouba Magoussouba et  Olwenn Bellon. Yacouba a grandi dans une famille marionnettiste. Olwenn, elle, est scénographe professionnelle, formée à la faculté des arts plastiques de Rennes (France). La particularité de cette jeune compagnie est de mélanger masques dogons et marionnettes afin d’exprimer les liens de fraternité qu’il existe entre dogons et malinkés. Plus largement, à travers la danse de ces pantins de bois appelée le kanaga satimbe wale silegué, Nama nous rappelle la glorieuse Histoire commune  de ce peuple malien à visages multiples.
« Le lièvre sauva les chèvres » est un conte mandingue, qui évoque comment le lièvre est devenu le plus riche marchand des animaux en sauvant les chèvres.

 

12h : l’Heure du conte, «La chèvre et le vieillard»
« Une chèvre et son maître s’aimaient profondément. Ce dernier désirant une descendance la chèvre alla voir le génie de l’arbre qui la transforma en femme. En contrepartie, il lui faudra sacrifier son cinquième enfant. Le cinquième enfant naquit. Alors qu’il jouait dans la forêt avec ses frères, le génie l’engloutit… »
Conte animé par Ousmane Diarra (auteur), Kari Coulibaly, Salif Berthé (conteur) et David Coulibaly (dessinateur et scénographe)

15h : Cinéma, projection du 1er volet d’Aya de Yopougon, 2013, 84’
Aya de Yopougon est une série de bandes dessinées écrite par Marguerite Abouet, illustrée par Clément Oubrerie
Fin des années 1970, en Côte d’Ivoire à Yopougon, quartier populaire d’Abidjan. C’est là que vit Aya, 19 ans, une jeune fille sérieuse qui préfère rester étudier à la maison plutôt que de sortir avec ses copines. Aya partage ses journées entre l’école, la famille et ses deux meilleures amies : Adjoua et Bintou, qui ne pensent qu’à aller gazer en douce à la nuit tombée dans les maquis. Les choses se gâtent lorsque qu’Adjoua se retrouve enceinte par mégarde. Que faire ?

 

Entrée : Libre

HISTOIRE DE LA BANDE DESSINÉE MALIENNE

Le Mali, pays sahélien de quatorze millions d’habitants n’a pas une grande tradition en matière d’édition. Durant longtemps, la seule maison d’édition du pays était un éditeur public, créé dans les années 1960 avec des capitaux de l’Etat : EDIM (EDitions Imprimerie du Mali).

 

C’est seulement en 1988 que des éditeurs privés arriveront sur le marché.

Le premier d’entre eux était Jamana : émanation de la coopérative culturelle multimédia du même nom, créée en cette année 1988 par le futur président de la République, Alpha Oumar Konaré. Il sera suivi par la suite par Donniya (en 1996) dont le premier titre est un dictionnaire français-bambara puis par Le Figuier (en 1997), créé par l’écrivain Moussa Konaté. Celui-ci explique les raisons de son engagement dans un entretien datant de 1999 : « Il y avait d’abord le fait que mes propres livres étaient tous édités en France et introuvables en Afrique. Ou alors quand ils y arrivaient, c’était à des prix hors de portée, des livres vendus à 80 FF dans un pays où le SMIC est à 200 FF… Un autre point, aussi en liaison avec ma propre vie, c’est que j’ai lu assez tôt dans mon enfance : j’ai ce souci de faire lire les enfants. Nous avons donc démarré avec la littérature de jeunesse qui forme toujours environ 80 % de notre production. On a commencé avec des traductions et des adaptations de textes oraux traditionnels et maintenant nous allons publier des ouvrages de fiction destinés à la jeunesse. Ce qui est spécifique chez nous, c’est que tous les textes sont publiés en langue d’origine et en français, dans deux livres différents. C’est vrai que ça coûte cher, d’autant plus que nous avons opté pour une édition de qualité. Tout est en quadrichromie. Mais il y avait une demande, et ça nous a permis de tourner. Nous avons aussi eu une subvention d’une ONG canadienne. Mais elle concernait uniquement les frais d’imprimerie qui consistent en 25-30 % du coût du livre. Au début, c’était de la folie. Il n’y a pas de structures pour l’édition. On n’a pas de maquettistes formés ; les imprimeurs faisaient des journaux mais pas de livres ; les dessinateurs ont un talent brut ou alors ne sont pas du tout formés pour illustrer des ouvrages de jeunesse. Pour le papier, il n’y avait que le papier classique de 80 grammes. Il a fallu se battre, mais maintenant les choses se mettent un peu en place. Ceci dit, l’édition reste difficile. Il nous arrive parfois de faire le devis d’un ouvrage et à la veille de l’impression, le prix du papier augmente de 50 %… »

Aujourd’hui, le pays abrite une vingtaine d’éditeurs, toutes spécialités confondues, auxquels on peut ajouter une maison d’édition située à Paris : Cauris éditions, fondé par Kadiatou Konaré. Malheureusement, la plupart des titres sont tirés à un maximum de mille exemplaires et compte, pour l’essentiel de leurs ventes, sur les achats quelque peu démagogiques des différentes institutions de coopération. Si Le Figuier fut le premier à éditer des bandes dessinées et des livres pour la jeunesse ( » Sitan la petite imprudente « , adaptation sahélienne du petit chaperon rouge, «  La Longue marche des animaux assoiffés « …), l’éditeur Donniya sort incontestablement du lot . Doté de leur propre imprimerie (Imprim Color), Donniya a un studio de création, un studio graphique en PAO. Directrice, avec son mari, Svetlana Amegankpoé est une dessinatrice de talent qui a illustré plusieurs de leurs publications dont la plupart des sept ouvrages pour la jeunesse, présents au catalogue :  » La Petite souris qui a perdu son enfant « ,  » Monsieur déchéance « ,  » Voyage en taxi-brousse « , etc.

Mais Donniya n’a jamais édité de bandes dessinées.

Cependant, cette multiplication d’éditeur qui touche le pays depuis vingt ans a eu évidemment un impact sur le développement du 9ème art national et lui a permis de prendre une certaine ampleur.

L’histoire du 9ème art malien reste d’ailleurs très intéressant. Si les premières traces remontent à quelques décennies, la véritable naissance de cet art se situe dans les années 2000. Retour sur les débuts très récents d’un art en pleine gestation dans l’un des pays les plus stables du continent. Mais comme souvent en Afrique, le démarrage de la bande dessinée malienne ne peut se démarquer de celui de l’illustration et de la caricature.

Tout commence en 1983 avec le lancement de Podium, supplément sportif du seul journal autorisé de l’époque : L’Essor. Le lecteur pouvait y découvrir les aventures de  » Bouba « , mini-série dessinée par l’illustrateur Sidi Sow. Celui-ci, aujourd’hui disparu, s’était déjà fait remarquer en illustrant la revue Soundjata, lorsqu’il était étudiant à l’Institut National des Arts (INA).

Grin-Grin-n4-Juin-1987La fin des années 1970 correspond à une timide ouverture politique de la part du président-général Moussa Traoré qui arrive à attirer certains intellectuels comme Alpha Oumar Konaré. Celui-ci devient ministre de la culture en 1978 avant de démissionner de son poste deux années plus tard. En 1983, il lance le trimestriel Jamana, revue culturelle de la coopérative du même nom. On y trouve toujours Sidi Sow mais aussi Kays (pseudonyme de Yacouba Diarra) qui y dessinait également ; en particulier des caricatures et des petits strips. C’est le début d’une carrière dans le milieu pour celui-ci puisqu’il illustrait auparavant essentiellement des brochures et des livres scolaires.

Dans le même temps, la Coopérative Jamana lance Grin-Grin : un magazine d’information pour les jeunes, abondamment illustré. Presque tous les dessinateurs de l’époque passent par ce magazine qui va vite devenir une référence dans le jeune lectorat du pays. Presque tous les dessinateurs de l’époque sont passés par ce magazine lu par un grand nombre de jeunes. Une pépinière commence à se constituer. Sidi Sow, Yacouba Diarra, (Kays), Modibo Samakou Kéïta (MOK), Bakoro Doumbia, Dellesi Traoré, Nouhoum Traoré, Modibo Sidibé, Aly Zoromé, Emmanuel Bakary Dao illustrent des articles ou dessinent quelques cases de BD. Les premières séries de la BD malienne sont lancées et font connaître certains dessinateurs auprès du jeune public. C’est le cas de Kays qui dessine la série  » Saro  » de 1990 à 1998, mais aussi  » L’Aigle noir « , de 1988 jusqu’en 1998. Il y lance aussi  » Les Trois amis  » (n°27 à 30),  » Karatou le truand  » (24 et 25),  » Les Curieux  » (N°41 à 52)…

Oumarou-le-gourmand-P1-et-2--(Aly-Zoromé)-Couv-GRIN-GRIN-N08-JAN-1989163

Aly Zoromé, qui deviendra l’un des auteurs les plus connus par la suite, commence sa carrière avec  » Omarou le gourmand « . Mahamane Imrane Coulibaly dessinera la série «  Toto  » du n°25 au n°34, plus d’autres aventures comme  » La Symphonie des amoureux« . Banouh (Nouhoum Madani Traoré) enfin, débute avec  » Youba  » avant de se consacrer à l’illustration et à la production de planches diverses.

L’aventure de Grin-Grin durera 13 ans et s’arrêtera en 1996.

Entre temps, le pays verra la création du premier journal satirique : Le Scorpion (avec les deux anciens de Grin-Grin que sont Modibo Samakou Keita alias MOK et Dellesi Traoré) en 1991, année du renversement de Moussa Traoré par un coup d’état militaire et l’instauration de la démocratie. De 1990 à 1997, la BD disparaît de la presse locale.

La caricature y fait son apparition avec, en particulier, La Cigale muselée, mais aussi Le Vendu, Le Hérisson, Sud Info, Le Zénith, l’Aurore dont les caricatures étaient faites par Emmanuel Dao (qui lancera son propre journal satirique : La Cravache, en 1996) Modibo Samakou Keïta et Mahamane Imrane Coulibaly. En 1997, à la fin de son 1er mandat, le président de la république éditera même un recueil de caricatures intitulé « Le Miroir satirique ».

yakouba-4bf57En 1997, les éditions Le Figuier, créé par l’écrivain Moussa Konaté, sort  » Comment le lièvre sauva les chèvres  » de Yacouba Diarra (Kays). Ce conte animalier devient le premier album BD du pays. Il sera suivi, en 2001, par  » La Revanche du chasseur  » du même auteur, chez le même éditeur. Cet ouvrage en couleur s’appuyait sur un conte mêlant personnages humains et animaux. Le grand chasseur Fagnouma-Blen offre un morceau de viande aux vautours au terme de chacune de ses chasses. Un jour, pour tester la gratitude des rapaces, il s’allonge sur le sol et fait le mort. Le lièvre, son complice, annonce la nouvelle aux autres animaux et notamment à la hyène et aux vautours. S’ensuit un jeu de ruse où chacun se méfie de son voisin tout en essayant de le piéger.

Ces deux productions furent l’occasion, pour Kays, de s’échapper de Grin-Grin et de produire un album de trente-six pages. Cette même année voit la création de l’hebdomadaire Le Canard déchainé. Le premier caricaturiste fut d’abord le très populaire Mamadou Diarra qui sera remplacé, par la suite, par Kays. Tiré à deux mille exemplaires, Le Canard déchainé publiera également chaque année, une à deux compilations de ses meilleures caricatures.

2002 verra le réel démarrage du 9ème art dans le pays. Cette année, l’association amiénoise « On a marché sur la bulle » organise, en partenariat avec le CCF de Bamako, un atelier encadré par Barly Baruti et Nicolas Dumontheuil et auquel participent Massiré Tounkara (né en 1979), Julien Batandéo (né en 1979) d’origine togolaise, et Papa Nambala Diawara (né en 1953). Suite à ce stage, les auteurs décident de s’unir et de créer l’atelier BDB (Bande des dessinateurs de Bamako (le nom était une trouvaille de Barly Baruti). À la fin du stage, Batandéo, Nambala Diawara et Tounkara sont choisis parmi les six participants pour participer au 8ème rendez vous BD d’Amiens.

1451387583_2Entre février et fin mai 2002, à l’atelier BDB sis au CCF, les trois auteurs planchent sur une histoire courte appelée « Horizon Amiens », histoire qui anticipait sur le voyage des trois auteurs qui n’étaient jamais venus en Picardie. Les planches de cette petite histoire seront tirées en grand format et exposées au festival. Par la suite, pendant les dix jours qui précèdent le festival, les trois auteurs participent à un deuxième stage de dix jours sur les techniques de coloriage, stage animé par Jean Denis Pendanx ( » Labyrinthes « ,  » Les Corruptibles « , «  Abdalahi « …).

Ces stages inauguraient une série de plusieurs autres auxquels participeront les dessinateurs maliens, en particulier trois stages encadrés par Alain Brezault à l’occasion des différentes éditions du festival Étonnants voyageurs, mais aussi un atelier commun fait avec l’association L’Afrique dessinée (Saint Ouen – France) en 2006.
Cette participation des maliens au festival d’Amiens marquera les trois auteurs. Pour la première fois, dans un salon français de BD, des auteurs maliens participent, font des interventions dans des collèges et lycées ainsi que des séances de dédicaces.

L’édition suivante, en 2003, verra l’organisation d’une exposition sur la BD malienne, « Mali : les cases de la BD Africaine ».

Cette même année verra deux membres rejoindre l’association. Le premier est Aly Zoromé (caricaturiste au quotidien L’Essor et illustrateur pour enfants). Bien que connu des autres, celui-ci n’avait pas participé au stage pour la simple raison qu’il était au même moment dans un atelier d’illustration avec Kays, Mahamane Imrane Coulibaly, Maïga et d’autres dessinateurs ; atelier animé par l’auteur congolais Dominique Mwankumi.

Le second est Georges Foli rencontré lors du festival Étonnants Voyageurs. Leur collaboration interviendra quelques mois plus tard. À partir de 2003, Georges Foli s’occupera de tout ce qui est organisation et administration du groupe de dessinateurs. Cette année constitue le véritable démarrage pour toute l’équipe. Ils créent l’association Esquisse et lance un fanzine : Ébullition, lequel comptera deux numéros avec la participation de l’auteur congolais Cyprien Sambu Kondi qui vivait à l’époque dans le pays.

En parallèle, Julien Batandéo auto-édite un premier album de trente pages, Tchécoroba, entièrement en noir et blanc et couverture souple. Tchécoroba présentait une succession de gags en une planche, centrée sur la vie de famille et les difficultés comiques d’un homme à rester fidèle à son épouse.

Cette même année, Balani’s, une boîte d’événementiel et de production de groupes de rap fondée par Lassana Igo Diarra, décide de se lancer dans l’édition d’ouvrages pour la jeunesse et de bandes dessinées.
Sa première production est un conte pour enfant accompagné d’une cassette audio ( » Les Jumeaux à la recherche de leur père « ), un texte d’Ousmane Diarra dessiné par Massiré Tounkara. Le premier tome, qui sort en 2003, rencontrera un certain succès. Il sera suivi, en 2005, par un deuxième tome. Le duo rééditera l’expérience en 2006 avec  » La Princesse capricieuse « , chez le même éditeur.

Peu à peu, l’association se structure et étend ses activités. Entre 2005 et 2009, Esquisse organise trois éditions du salon de la BD de Bamako qui rencontre un vrai succès. Puis, en 2008, l’association Esquisse devient le Centre de la bande dessinée de Bamako et quitte le CCF où elle était installée depuis quelques années, pour s’installer dans un local qu’elle loue dans un quartier périphérique de Bamako. En parallèle à la bande dessinée, les différents artistes du Centre de la bande dessinée produisent des supports pédagogiques et didactiques, des posters, des livrets de santé ce qui leur permet d’avoir une source de revenus supplémentaires.

En effet, à l’image de ce qui se passe dans la plupart des pays africains, la plupart des auteurs ont tous un travail à côté qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Il est vrai que la bande dessinée ne rapporte guère de revenus réguliers aux artistes, du fait de publications aléatoires et d’une absence quasi-totale de planches de BD dans les quotidiens et hebdomadaires généralistes du pays. De fait, le nombre d’auteurs extérieurs au Centre de la bande dessinée qui se sont aventurés dans le genre sont rares.

En 2006, deux auteurs maliens, lauréats du concours Africa & mediterraneo, ont été publiés dans le collectif  » Africa Comics 2005 – 2006 « . C’est le cas de Montar Fofana qui y publie les cinq planches de  » Yagaré Bouré, la mauvaise épouse « , mais également Lassana Fofana avec «  Réalité  » (quatre planches). Deux auteurs totalement inconnus au Mali.

En 2008, les éditions Edis sortent, grâce à un soutien public,  » Le Prix de la fraude  » dessiné par Aly Zoromé. Cet album attaque de plein fouet l’un des maux des sociétés africaines actuelles, à savoir la corruption dans le milieu scolaire.

La même année, Balani’s lance une série intitulée «  Issa et Wassa  » avec des dessins de Massiré Tounkara sur un scénario de Mahamadou Traoré de Seydou. Orientée sur la protection de la nature, la série édite en même temps les deux premiers tomes :  » Le Forestier du Baoulé  » (2008) et  » Woroni du Bafing  » (2008). Les deux jeunes héros que sont Issa et Wassa vivent des aventures qui mettent en exergue les beautés naturelles du pays. Chacun des neuf parcs animaliers maliens aurait dû faire l’objet d’un album, mais la série se limitera à quatre tomes. Le troisième, «  Selingué « , devrait sortir en début d’année 2011, suivi du quatrième, dans la foulée.

Cette initiative fait des émules puisqu’au début de 2010, sont créés les éditions Tombouctou, nouvelle maison dirigée par Aïda Diallo et Ibrahima Aya, auteurs engagés en faveur de la lecture des jeunes. Leur premier titre est tiré d’une collection de bandes dessinées documentaires qui prévoit la découverte de diverses régions du Mali, à travers les voyages des jumeaux Awa et Adama. Il s’agit de  » Awa et Adama à Wadakédji « , toujours dessiné par l’infatigable Aly Zoromé. Wadakédji est le nom d’une association de communes des cercles de Yanfolila, Kati et Bougouni au centre du pays. Chaque étape du voyage des enfants est l’occasion d’une découverte des particularités de la région et aussi l’occasion d’aborder des thèmes plus généraux comme l’importance de l’état civil du droit de vote ou la culture du karité… La série devait faire appel à plusieurs auteurs : Aly Zoromé pour le premier tome, Julien Batandéo pour le 2ème tome et Tounkara pour le tome 3, le centre de BD de Bamako devant coordonner l’ensemble pour ce qui était de la réalisation des dessins. Le projet semble être en stand-by depuis un an.

Le début d’année 2011 a vu la sortie d’un très beau projet, à savoir l’édition du  » Mali de Madi « , l’un des tous premiers albums BD du continent à raconter l’histoire d’un pays d’Afrique. Dessiné par Massiré Tounkara , scénarisé par le jeune français Sébastien Lalande qui reviennent sur les cinquante années d’indépendance du pays,  » Le Mali de Madi  » a été édité par la maison Prince du Sahel, éditeur généraliste local qui fait une première incursion dans ce domaine. Très didactique, l’album retrace le parcours de Madi, reporter de 1960 à 2010, et entraîne les lecteurs à la découverte du Mali moderne : grandes périodes et acteurs politiques, développement économique et mise en place des principales infrastructures, avènement de la démocratie, grands hommes qui font ou ont fait le rayonnement du pays, mais aussi évènements culturels internationaux, exploits sportifs et évolutions sociales. Malgré un terrible drame personnel qui l’oppose à son frère, Madi, véritable passeur de mémoire, consacre sa vie à transmettre l’histoire contemporaine de son pays.

Le 9ème art malien est donc en pleine envolée depuis une quinzaine d’années. Le nombre d’albums est en hausse constante et le milieu fait de plus en plus parler de lui. Les raisons tiennent essentiellement à l’installation de la démocratie dans le pays en 1992, ce qui a entraîné une grande liberté de la presse et, on l’a vu, un développement de l’édition. C’est également le résultat d’une forte présence d’ONG, d’associations et autres organismes de développement, ce qui permet à certains éditeurs astucieux de recevoir du soutien lorsqu’ils abordent certains sujets comme l’écologie, la nature….

Bakaridjan-p4-et-5-(Delessy-Traoré,-grin-grin-N4-1987)143

Cependant, dans le milieu du 9ème art d’Afrique où il est nécessaire d’acquérir une certaine visibilité internationale afin d’atteindre une meilleure légitimité intérieure, les auteurs maliens font exception. Centrés sur leur pays, ceux-ci ne cherchent guère à se faire remarquer à l’extérieur. En effet, seul Massiré Tounkara, est visible à l’étranger avec une planche nommée « Droit d’asile » éditée dans le collectif  » L’Illustration universelle des droits de l’homme  » (2006 – Glénat) et une histoire courte ( » Vie de m…  » sur un scénario de Fatimata Wagué) dans le recueil algérien «  La Bande Dessinée conte l’Afrique  » (Éditions Dalimen) sorti à l’occasion du festival panafricain d’Alger, en 2009. Le bilan peut paraître mince. Il démontre surtout qu’il est possible de faire carrière loin des yeux de l’Europe.

Pourtant, celui-ci s’intéresse au Mali. La preuve en est la sortie en 2009 de  » La Compagnie des cochons  » par Arnaud Floc’h, auteur français vivant une partie de l’année à Bamako, et qui y situe l’intrigue (policière) de cette dernière oeuvre. Dix ans après  » Mali mélo « , carnet de voyage auquel avait participé Patrick Cothias et Régis Loisel, grands noms du 9ème art français, on peut également citer  » Abdalahi  » qui retrace le parcours de René Caillé dans son long et pénible voyage qui le conduisit à Tombouctou (Jean Denis Pendanx et Christophe Dabich), ainsi que « Les Deux princes  » de Serge Saint Michel et Bernard Dufossé (auteurs de «  Kouakou « ), BD qui raconte l’histoire de Soni Ali ber, grand empereur du Songhaï.

Le cas malien reste assez unique du fait de son histoire récente et le petit nombre d’artistes concernés. Ces deux conditions réunies rendent possible l’étude des conditions de son éclosion et de son épanouissement. De façon plus générale, la BD malienne est la démonstration que la volonté et la cohésion d’un groupe sont des atouts indispensables pour faire naître un art dans un milieu défavorisé. La démonstration est faite : vivre au Mali, l’un des pays les plus pauvres du continent, n’empêche pas ces auteurs de faire carrière et de publier.
On s’en doutait, mais cela se confirme : il y a une vie en dehors de l’occident….

Christophe CASSIAU-HAURIE

“Mon ambition est de créer un journal comme Charlie Hebdo ou Gbich” Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Mad

Mad (Mahamadou Diarra) est l’un des dessinateurs les plus connus du Mali. Il commence sa carrière au Sénégal où il travaille pour plusieurs organes de presse (La République, La Tribune de Dakar, La Vache qui rit, L’Indépendant). À la fin des années 90, il rentre dans son pays et participe au lancement de l’hebdomadaire satirique, Le Canard enchanté, qui deviendra deux ans plus tard Le Canard déchaîné. La même année, Diarra devient caricaturiste du bihebdomadaire Challenger et de l’hebdomadaire Mœurs. Premier caricaturiste du journal, Mamadou Diarra y gagne une belle notoriété et continue à collaborer au journal même après son remplacement par Yacouba Diarra (Kays). Il sera d’ailleurs directeur artistique du Canard de 2003 à 2007 avant d’occuper le même poste pour l’hebdomadaire Mœurs de 2008 à 2009. Actuellement, il est également le caricaturiste du quotidien L’Indépendant ainsi que de Bamako hebdo. Rencontre avec un des pionniers de la caricature malienne qui est aussi un bédéiste frustré.

Quelle est votre formation de départ ?

Je suis né le 26 novembre 1968, j’ai fait les beaux-arts à 16 ans. J’étais un élève très précoce. Dès le second cyle, j’étais très fort en dessin. Alors notre entourage a poussé mes parents à me diriger vers cette activité. Donc, avant le bac, j’ai tenté le concours l’Institut des Beaux-Arts (IBA) que j’ai réussi. Il suffisait d’avoir le diplôme fondamental (1) pour y rentrer.

En quoi consiste la formation aux beaux-Arts à Bamako ?

Le cycle complet dure quatre ans. Les disciplines enseignées sont, en matière d’arts plastiques : le dessin, la peinture, la décoration. Il y a aussi la bijouterie et la musique. On y enseigne aussi des disciplines plus généralistes comme la philosophie, l’architecture, l’archéologie, la littérature. Celles-ci ont le même coefficient que les autres matières artistiques à savoir coefficient 3. Il fallait donc être bon partout.

Le niveau était bon ?

En tous les cas, les enseignants étaient très exigeants. Il y avait un Italien, un certain Louis Frezier, Moktar Haïdara. Il y avait aussi un certain Diarra, beau-frère du président de l’époque, le général Moussa Traoré. Il venait à l’école en grosses cylindrées et était habillé en bazin. Celui-ci a fui à la chute du président en 1991. Il a disparu de la circulation, je ne sais pas ce qu’il est devenu. J’étais de la même promotion qu’Aly Zoromé, on est sorti la même année des Beaux-arts en 1988.

Très peu ont fait carrière, me semble-t-il car quand je suis revenu du Sénégal, seul Zoromé travaillait dans la presse. Lui à L’essor où il est toujours et moi au Canard déchaîné.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

À l’image de l’ensemble de l’enseignement au Mali, le niveau a chuté. La cause en revient aux notes de complaisance mais aussi du fait du faible niveau des formateurs. Les institutions ont de plus en plus de mal à recruter. Maintenant, certains élèves à l’INA deviennent formateurs quasiment dans la foulée de leur diplôme sans avoir fait leurs preuves auparavant.

Il y a bien sûr des exceptions, par exemple, l’actuel directeur du musée national est professeur là-bas en histoire générale de l’art et histoire de l’art africain. Il y a quelques temps, Igo Diarra, directeur de la galerie de la Médina et promoteur culturel, m’a appelé pour faire un atelier. J’ai été étonné de voir les élèves sécher devant leur feuille. Ils ne maîtrisaient pas les techniques de base et avaient besoin d’une gomme. Pour moi, c’est inconcevable.

1450906333_3

Comment avez-vous commencé votre carrière ?

Je l’ai commencée dans le dessin de presse au début des années 90 avant même que cela ne se répande au Mali puisque ma carrière a démarré au Sénégal. J’y suis allé en 1990, juste après avoir terminé les Beaux-arts pour rejoindre Saoudi Haïdara, mon oncle, qui avait créé le Cafard libéré, un journal satirique. C’est lui qui est actuellement le directeur de publication du journal Malien L’indépendant. Il a vécu 22 ans au Sénégal comme réfugié politique car il avait écrit dans le journal L’essor, des textes qui n’avaient pas plu au pouvoir politique de l’époque. Il est rentré en 1992 au moment de la chute de la dictature. Pour ma part, j’ai continué à travailler pour d’autres organes comme La vache qui rit ou La république. Mais ces journaux n’ont pas fait long feu, du fait d’une mauvaise gestion. Puis je me suis installé à mon compte avant de rentrer en 1997 au Mali, ma patrie où j’ai travaillé pour Le canard déchaîné.

Vous êtes donc plus connu comme caricaturiste que comme dessinateur de BD….

Pourtant j’ai des histoires terminées ou en projet, plein mes cartons. Mais, je suis marié et père de famille, je me dois de nourrir ma famille d’où le fait de continuer dans la caricature. J’ai mis la Bd en veilleuse, mais je n’ai pas arrêté.

Mais je le répète, je ne suis caricaturiste que par nécessité, ma formation c’est auteur de BD.

Alors, pourquoi n’avez-vous pas tenté de percer dans la BD ?

Le manque de moyens personnels pour m’autoéditer et l’absence d’éditeurs. J’ai déjà pris des contacts avec le directeur des éditions Balani’s, M. Igo Diarra, avec lequel je travaille depuis deux ans. J’expose dans la galerie de la Médina, dont il est également le propriétaire, certaines de mes caricatures qui traitent de la crise Malienne. J’en ai même dessiné sur commande. Mais c’est difficile de faire sortir un album, car l’éditeur estime courir un vrai risque financier.

Vous n’avez pas tenté de passer par un autre biais, de trouver des bailleurs de fonds ?

Même cette voie reste très hypothétique. Il y a quelques temps, j’avais commencé à caricaturer les bars tenus par des Chinois dans la capitale. J’avais commencé à diffuser ces dessins par voie de presse. Un diplomate de l’Ambassade de Chine m’a contacté et m’a demandé de venir le voir. On a discuté ensemble, je lui ai expliqué que je n’avais rien contre les bars chinois de Bamako mais que dans mon travail, je devais dénoncer tous les maux de notre société. Il a commencé à me donner quelques travaux à faire, des dessins à produire, afin de m’amadouer, j’imagine. Puis, un jour, il m’a demandé si j’avais fait des bandes dessinées. Je lui ai parlé des quarante planches de L’étrange destin d’un professeur de bande dessinée qui était terminées. Je les lui ai montrées. Il les a appréciées. Il m’a donné quelques cadeaux, un téléphone chinois, etc. et il a gardé les planches en me disant qu’il allait les faire imprimer l’histoire. J’étais tout content. Quelques mois plus tard, ce diplomate est parti au Cameroun en emportant mes planches originales. Malgré plusieurs relances de ma part, je ne les ai jamais revues et n’en ai aucune copie. Voilà comment on perd une œuvre en Afrique !

Aviez-vous eu le temps d’exposer ces planches ?

Oui, six pages scannées avaient été exposées au Centre de la bande dessinée, grâce à Georges Foli lors de la 3ème édition de festival de bande dessinée de Bamako. Mais ce n’était que des extraits, pas du tout une histoire complète et pas des originaux. C’est un sujet douloureux pour moi.

Avez-vous produit d’autres histoires ?

J’ai fait des strips dans un style caricatural qui traitent de la vie quotidienne au Mali : Les tribulations de Barou. L’histoire d’un citoyen lambda qui sort chaque jour de la maison et cherche sa pitance quotidienne. C’est un peu imité du personnage sénégalais de TT Fons, Goorgoorlou. J’ai vécu au Sénégal et cela m’a inspiré. La situation sociale au Mali et au Sénégal présente des similitudes, tout le monde est confronté à la DQ, la dépense quotidienne que l’on doit assurer pour sa famille. J’en ai fait 37 – 38 planches et c’est prêt à être édité ! J’ai une série similaire dans le Canard déchaîné : un strip nommé Canardages qui dure depuis près de 7 ans. C’est aussi une série sur le train-train quotidien du Malien lambda. J’ai fait deux autres histoires, dont une sur le SIDA que j’ai proposée à ONUSIDA mais ils m’ont fait tourner en bourrique.

1450906333_1

Voyez-vous d’autres obstacles au développement de la BD dans le pays ?

Il y a également un problème de diffusion du livre dans le pays, on a très peu de librairies. Un autre problème tient à l’attitude générale des collègues. Les bédéistes travaillent dans leur coin, chacun pense y arriver seul et toucher des dividendes. Il n’y a guère de cohésion, j’ai tenté plusieurs fois d’approcher des collègues pour travailler ensemble mais en pure perte.

Et puis, le prix des BD est très élevé pour le pouvoir d’achat malien.

Heureusement que vous avez votre activité de caricaturiste…

Même pas ! Le canard déchaîné, mon principal employeur, est un hebdomadaire qui tire à 5000 quand il n’y a pas de scoop et 10 000 quand il y en a un. Sinon, il y a trop d’invendus. Mais il n’y a pas assez de caricatures, le directeur du journal est obligé de mettre des photos car il ne peut pas payer les dessinateurs. Il y a donc un dessin à la une mais peu de choses à l’intérieur. Donc les dessinateurs travaillent dans plusieurs journaux là où l’on a besoin d’eux. Zoromé, par exemple, fait aussi le jeu des sept erreurs. J’ai deux filles et je ne leur conseillerai pas de suivre ma voie. Mais j’encours peu de risques, car il y a très peu de filles dans ce métier (sourires). A l’IBA, il n’y avait qu’une fille…

Quel bilan, tirez-vous de votre carrière ?

Un bilan moyen, mi-figue, mi-raisin. Je ne suis pas parvenu à atteindre les sommets et voir le bout du tunnel. J’aimerais m’installer à mon compte et monter un journal comme Charlie hebdo. Le type de magazine que tu ouvres et qui t’arrache un sourire à la lecture. Il y a d’autre modèle comme Gbich !! Le fondateur, Lassane Zohoré, est parti de rien. Cela inspire. Après tout, il n’est jamais trop tard pour bien faire.